"Marya" de Joyce Carol Oates : itinéraire d'une fille particulière



Sachez-le : je suis une inconditionnelle de Joyce Carol Oates. Une vraie groupie. J'achète tous ses livres le jour même de leur sortie, je lis toutes ses interviews, j'ai plusieurs photos d'elle dans mon bureau et je pousse des cris dès que je l'aperçois à la télé ou dans un magazine. Oui, c'est pathétique. Et oui, j'assume. 

Si je n'avais pas peur de passer pour une folle furieuse et de finir en camisole de force, j'érigerais un autel à sa gloire et me prosternerais devant tous les jours.

Parmi tous les merveilleux livres dont elle est l'auteur, j'ai choisi aujourd'hui de vous parler de "Marya" (rebaptisé par la suite "Marya, une vie"). Pas le plus récent mais l'un des plus bouleversants. Et, sans doute, l'un des plus personnels.

Mais commençons si vous le voulez bien par un petit résumé...

Les Knauer, c'est un peu la famille Bidochon. En plus sordide. Le père, Joe Knauer, passe son temps à écumer les bistrots et à chercher la bagarre. Jusqu'au jour où une rixe plus violente que les autres le conduit tout droit à la morgue. La mère, Vera, n'est pas franchement un modèle de tendresse. Imprévisible, colérique, en proie à des sautes d'humeur dévastatrices, elle abandonne ses trois enfants après le décès de son mari.

Marya et ses deux frères sont alors recueillis par leur oncle Everard et sa femme Wilma, qui ne valent guère mieux que leurs parents. 

Marya devient dès lors le jouet favori de son cousin Lee, qui exerce sur elle sa cruauté, la soumet à ses pulsions les plus sauvages, à ses élans les plus malsains.

Mais Marya n'a pas dit son dernier mot : élève brillante, douée pour l'écriture, elle trouve dans la littérature un exutoire bienvenu, un outil pour forger son propre destin et s'extraire du marasme nauséabond de sa jeunesse.

Evidemment, il est impossible de ne pas déceler la propre histoire de Joyce Carol Oates dans le parcours hors du commun de la jeune Marya Knauer. Impossible de ne pas la voir en filigrane, derrière ce personnage bouleversant aux prises avec la dureté du monde, mais doté d'une force vitale qui lui permet de venir à bout du malheur.

De nos jours, et vous l'aurez sans doute remarqué, la littérature se doit d'être "distrayante" avant tout. C'est-à-dire édulcorée, creuse, colorée comme un bonbon. Vite consommée, vite digérée. Et surtout pas trop difficile, parce que bon, réfléchir c'est fatiguant... En témoigne le succès de Marc Lévy, Guillaume Mussot, Anna Gavalda et consorts.

Avec Joyce Coral Oates, on est loin de cette "littérature" de supermarché. "Marya" n'est pas un feel good book, pas une friandise destinée à distraire la populace pendant les après-midis à la plage, non, c'est un coup de poing. Un livre dur, âpre, brutal, qui ne ménage pas ses lecteurs. 

Joyce Carol Oates aborde ici l'un de ses sujets de prédilection : la violence des hommes, la façon dont elle s'abat sur les femmes - et la façon dont ces mêmes femmes se révoltent, luttent, et terrassent leurs bourreaux.

Elle nous montre le monde tel qu'il est, déchire le voile des apparences pour faire apparaître la fange, les immondices, les travers les plus ignobles de nos sociétés modernes. Est-ce pour autant pénible, désagréable ? Non, mille fois non ! "Marya" nous emporte, ne nous lâche plus, nous captive jusqu'à la fin. Le style de l'auteur n'est évidemment pas pour rien dans cette réussite : sauvage mais précis, brut mais empreint de poésie, il est absolument dénué de maladresses ou de lourdeurs. Tout sonne juste, tout est vrai et percutant.

"Marya" est un livre dur, sans concessions, mais absolument nécessaire. Il nous invite à la réflexion, nous invite à regarder en face ce que nous n'avons pas envie de voir, à sonder notre propre néant. Une invitation qu'il serait dommage de refuser...

Quelques extraits :

"Ce fut une nuit de rêves chaotiques entrecoupés de voix inconnues, où la pluie tambourinait sur le toit goudronné. Avant de s'éveiller Marya vit entre ses paupières la forme vacillante de sa mère dans l'embrasure de la porte ; elle entendait un chuchotement rauque - pas de mots distincts, seulement des sons. La respiration sifflante de colère de sa mère. Les sanglots. Les quintes de toux."

"A treize ans, Marya était l'une des filles les plus grandes de quatrième ; elle n'avait pas une ossature lourde, mais un corps musclé, de longues jambes, des hanches étroites, des gestes vifs, nerveux. Elle ressemblait à un jeune poulain qui n'a pas encore été rompu, dit une fois un professeur sans se douter qu'elle l'écoutait."     

    

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