La photographie post-mortem : portrait d'une autre époque

Avertissement : les photographies qui illustrent cet article peuvent heurter les âmes sensibles.

Aujourd'hui j'ai choisi de vous parler d'une coutume tombée en désuétude à laquelle je m'intéresse depuis des années : la photographie post-mortem. Comme son nom l'indique, il s'agissait de prendre les morts en photo avant leur inhumation. 

Si, de nos jours, ces photographies peuvent paraître dérangeantes et même franchement macabres, elles n'en constituent pas moins un témoignage saisissant des mœurs et habitudes des ères victorienne (1837-1901) et edouardienne (1901-1910). Ces images nous offrent une véritable plongée dans le passé, aussi passionnante qu'insolite.

Cette pratique fut particulièrement répandue en Angleterre, ainsi que dans le reste de l'Europe et en Amérique du Nord. 

À l'époque, le rapport à la mort était très différent d'aujourd'hui. La mortalité infantile élevée, l'accès limité aux soins médicaux pour les plus démunis, les épidémies (notamment la tuberculose), occasionnaient de très nombreux décès. La mort faisait intégralement partie de la vie et, contrairement à aujourd'hui, n'était pas cloisonnée, soustraite aux regards. Après leur décès, les défunts demeuraient la plupart du temps à leur domicile jusqu'à la levée du corps. L'utilisation de morgues ou de funérariums était encore marginale, en particulier dans les campagnes. 

Il n'était pas rare que, dans les logements modestes, les vivants partagent leur lit avec le mort jusqu'aux obsèques.      

La photographie post-mortem a contribué à réduire encore davantage la distance entre les défunts et les vivants. 


Du fait de l'influence exercée à cette époque par la religion, la mort n'était pas considérée uniquement comme un drame ou une injustice, mais aussi comme la possibilité de trouver enfin le repos et la paix éternelle. La vie des classes moyennes et pauvres était rude, faite de labeur, de difficultés quotidiennes, et bien souvent marquée par la maladie. De fait, le paradis tel qu'il est décrit par la religion apparaissait, pour beaucoup de gens de l'époque, comme la récompense ultime. Ainsi, le passage dans l'autre monde pouvait être perçu comme une bénédiction, une façon d'accéder à une félicité que n'offrait pas la vie terrestre. 



Issue de la tradition ancestrale du memento mori, la photographie post-mortem permettait non seulement de conserver un souvenir du défunt, mais également de rappeler aux vivants la fragilité de leur condition de mortels, la précarité de l'existence et la possible perspective d'un ailleurs exempt de souffrances.

Cette pratique faisait donc écho, là aussi, aux préceptes religieux, qui préconisent une constante humilité face à Dieu et à ses volontés.


C'est Louis Daguerre, qui, en 1839, a permis de démocratiser la photographie et de la mettre à la portée des classes moyennes.

Néanmoins, quoique plus répandue qu'auparavant, la photographie demeurait relativement chère. Ainsi, beaucoup ne consentaient à cette dépense que pour une occasion unique - c'est-à-dire, dans bien des cas, un décès. Certaines familles ne possédaient pas de portraits de leurs enfants vivants, mais conservaient d'eux des photographies post-mortem. Photographier les défunts devint un rite courant, parfois accompagné d'une complexe mise en scène. Des dispositifs permettaient de maintenir les morts debout, et les enfants étaient bien souvent photographiés les yeux ouverts, installés au milieu de leurs jouets, en compagnie de leurs frères et sœurs ou dans les bras de leurs parents.





L'on peut supposer qu'à travers ces mises en scènes, les vivants avaient le sentiment de n'être pas complètement impuissants face à la mort, d'avoir sur elle un certain contrôle, aussi ténu et incomplet soit-il.

Peut-être était-ce là, en fin de compte, la véritable vocation de cette pratique : apprivoiser la peur de la mort qui, malgré le paradis promis par la religion, n'en demeure pas moins profondément ancrée dans chaque être humain.



Les nouvelles pratiques funéraires (l'avènement des morgues, les nouvelles méthodes de conservation des corps, un souci accru de l'hygiène...), ainsi que l'allongement de l'espérance de vie contribuèrent à la fin de la photographie post-mortem, qui s'est considérablement raréfiée au fil du temps. 





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