"Jane Eyre" de Charlotte Brontë : sublime et indémodable



Aujourd'hui, je voudrais vous parler d'un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. Une époque bénie où l'on écrivait encore de vrais livres. Une période merveilleuse où les torchons estampillés "New romance" ne trustaient pas les premières places sur le podium des meilleures ventes. Une ère ô combien regrettée, où la déliquescence culturelle n'avait pas encore poussé la population à ériger comme idoles les analphabètes siliconées de la télé-réalité.

Enfin bref, vous l'aurez compris, ce soir je suis d'humeur nostalgique. Et dans ce cas, je ne connais pas de meilleur remède qu'un bon vieux classique. Se replonger dans le passé par l'intermédiaire d'un chef d'oeuvre de la littérature, pour oublier les turpitudes des temps modernes. 

Cette fois-ci, c'est "Jane Eyre" que j'ai ressorti de ma bibliothèque. Pour ceux qui ne connaîtraient pas l'histoire en détails (j'ose espérer qu'ils sont rares) voilà un court résumé : Jane Eyre, orpheline ayant vécu une triste jeunesse faite de brimades, de privations et de souffrance, est engagée en qualité de gouvernante par le ténébreux Edward Rochester. Bien vite, elle s'éprend de cet homme ombrageux, taciturne, au tempérament aussi rude et austère que les landes qui environnent son manoir. Cet amour s'avère réciproque. et le couple s'apprête à convoler en justes noces. Mais un sombre secret est révélé, contrariant leurs projets et mettant Jane face à un douloureux dilemme...

Dès les premières lignes, Charlotte Brontë nous captive. Son style élégant, riche et soigné mais sans affectation, est si vivant et coloré qu'il nous transporte en quelques instants dans l'Angleterre du XIXème siècle. Impossible de ne pas s'attacher à Jane, impossible de ne pas frémir, aimer et haïr avec elle, tant elle semble réelle, constituée de chair et de sang plutôt que de papier.

Ses hésitations, ses doutes et ses tourments ne peuvent que nous toucher, parce qu'ils sont ceux d'une femme éprise de liberté mais aux prises avec la passion amoureuse ; une femme déchirée entre ses valeurs morales et des sentiments dévorants. Une femme résolument humaine, donc, habitée de contradictions, et dans laquelle chacune d'entre nous peut se reconnaître. 

Et vous savez ce qu'il y'a de merveilleux dans cette sublime histoire d'amour ? C'est que les protagonistes ne sortent pas tout droit d'un magazine de mode. Contrairement aux personnages de "50 nuances de Grey", "Hopeless", "Twilight", "Beachwood Bay" et autres conneries New adult, New Romance, Young adult ou appelez-ça-comme-vous-voulez-on-s'en-fout-complètement, Jane Eyre et Edward Rochester n'ont pas des corps de rêve, des sourires ultra-bright et des abdominaux en béton.

Ils sont ce qu'ils sont, c'est-à-dire imparfaits. Mais c'est comme ça qu'ils s'aiment, et qu'on les aime aussi.

Charlotte Brontë nous rappelle que l'amour n'est pas uniquement la rencontre d'un glorieux bonnet D avec des pectoraux saillants. Il est aussi (et surtout) la rencontre de deux âmes qui se reconnaissent, de deux esprits qui se mêlent, de deux peaux qui s'attirent, bien au-delà de la simple beauté plastique.

Bien qu'il soit un magnifique roman d'amour, "Jane Eyre" est également un livre sauvage, empreint de noirceur, traversé par la maladie, la violence, la folie et la douleur du deuil. Une oeuvre forte et complexe, donc, que je vous invite vivement à découvrir ou à redécouvrir !

Quelques extraits :

"Je ne doutais pas (je n'en ai jamais douté) que, si M. Reed avait vécu, il m'eût traité avec bonté ; aussi à cet instant, tandis que je contemplais le lit blanc et les murs plongés dans l'ombre, non sans tourner aussi de temps à autre un regard fasciné vers le miroir qui luisait obscurément, je commençai à me rappeler ce que j'avais entendu dire de morts qui, troublés dans leur tombe par la violation de leurs dernières volontés, revenaient sur terre pour punir les parjures et venger les opprimés, et je songeais que l'esprit de M.Reed, tourmenté par les torts que subissaient l'enfant de sa soeur, allait peut-être quitter sa demeure (soit dans le caveau de l'église, soit dans le monde inconnu des disparus) et surgir devant moi dans cette chambre."

"Mais à d'autres égards, aussi bien que sur ce point, je devenais très indulgente envers mon maître ; j'oubliais tous ses défauts, que j'avais naguère surveillés d'un œil sévère. Auparavant je m'étais efforcée d'étudier tous les aspects de son caractère, d'en prendre le bon et le mauvais, et après avoir scrupuleusement pesé l'un et l'autre, de me faire une opinion équitable. A présent je ne voyais plus rien de mauvais. Les sarcasmes qui m'avaient rebutée, la rudesse qui m'avait surprise autrefois n'étaient plus pour moi que comme des condiments relevés dans un mets de choix ; leur présence était piquante, mais leur absence eût produit une impression d'insipidité relative."
    

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